• Doux. L'abattoir vu de l'intérieur

    La semaine dernière, Bérengère Lepetit est revenue à Châteaulin, présenter son...

     

    La semaine dernière, Bérengère Lepetit est revenue à Châteaulin, présenter son livre à ses anciens camarades de l'abattoir.

    En temps ordinaire, Bérengère Lepetit est journaliste économique. Pour pouvoir raconter au plus près le quotidien des ouvriers de l'agroalimentaire, elle s'est fait embaucher, incognito, chez Doux, à Châteaulin, pendant un mois. Elle raconte de l'intérieur un monde dont on parle peu, dans un livre (*) qui sort aujourd'hui

     

      Des poulets, des poulets, encore des poulets. Des gros poulets d'1,6 kg. Des plus petits de 600 grammes. Des poulets à dispatcher dans des cartons de deux tailles différentes. Des poulets de 13 h à 20 h 40 précises, à la chaîne et à la pointeuse. Des poulets, la nuit aussi, même en rêve. Bérengère Lepetit a 34 ans. Elle est journaliste économique, vit à Paris, et confesse sans contrition venir d'un milieu « plutôt bourgeois ».
     
     
    La première fois qu'elle se rend dans le Finistère en reportage pour couvrir le mouvement des Bonnets rouges, elle découvre Nadine Hourmant, déléguée FO chez Doux et seule femme porte-parole du mouvement. La personnalité de la syndicaliste l'interpelle. Elle l'a vue, en colère, inviter la maire de Morlaix (29), Agnès Le Brun, « à venir travailler avec (elle) à la chaîne ». Finalement, cette invitation, Bérengère Lepetit la prend pour elle.

    « Sans les coupettes de champagne »

    Jusqu'en janvier dernier, la journaliste ne connaît qu'une facette de ce monde, celle des visites organisées pour la presse. « Des plans de communication bien huilés », balaie-t-elle. Elle, elle veut raconter la vie lorsqu'on est employé en « 7-7-6 », dans un abattoir de volailles. Sans les « coupettes de champagne ». « Il fallait que je m'y fasse embaucher mais si j'avais adressé une demande officielle, elle m'aurait été refusée, ou alors on m'aurait collé un chargé de comm'».

    Ce sera donc une immersion, incognito. De son employeur, elle obtient une disponibilité, expurge son CV, s'invente une nouvelle vie à raconter, balance une valise dans son coffre et prend la route. En moins d'une semaine, une boîte d'intérim lui trouve une place chez le géant européen de la volaille, à l'atelier conditionnement. Celui en fin de chaîne, peut-être le moins pénible - « tout est relatif » - le plus féminisé aussi. « On m'a épargné l'accrochage des poulets vivants, l'électrocution ou l'éviscération », souffle-t-elle.

    Prendre le poulet à bras-le-corps
     
    Commence alors une longue période d'écartèlement entre sa nouvelle vie d'ouvrière à l'abattoir et celle qu'elle a laissée, à Paris. Bien plus d'un monde sépare les deux.

    Sans repères, assommée par le bruit des machines qui crachent plusieurs dizaines de poulets à la minute, sans pouvoir communiquer avec ses camarades de ligne, Bérengère Lepetit plonge en elle-même, prend le poulet à bras-le-corps et se fond dans son nouveau costume : charlotte sur les cheveux, blouse, chaussures adaptées et protège-oreilles.

    « À la fin de la première semaine, j'ai failli tout arrêter », se souvient-elle. Trop dur. Finalement, elle s'accroche, apprend à vivre sans montre pour ne pas trouver le temps trop long, à apprécier la saveur simple d'un capuccino-noisette pendant ses deux quarts d'heure de pause. À attendre le week-end dès le lundi matin, « tandis que beaucoup attendent la retraite dès l'âge de 40 ans ».

    À découvrir aussi les règles non écrites de l'entreprise, son vocabulaire, avec « la guillotine » (le bureau des chefs), le « palais des glaces » (le siège administratif)... Les moments plaisants ne sont pas légion mais il y en a.

    Le 23 janvier, Bérengère Lepetit assiste aussi de l'intérieur à la visite d'Emmanuel Macron venu en Bretagne faire amende honorable après ses propos sur les « illettrées ». Avec ses camarades, elle se sent transparente, la caravane ministérielle passe sans un regard ou un mot pour elles. « J'ai l'impression que nous avons été évincées alors que nous sommes le socle de cette usine. Sans nos bras, pas de redressement pour Doux », écrit-elle. Ce jour-là, pour la visite, la cadence sur la chaîne a été ralentie artificiellement ; pour compenser, le rythme est deux fois plus soutenu par la suite... Le ministre de l'Économie l'imagine-t-il seulement ?

    « J'aimerais que Macron le lise »
     
    La semaine dernière, Bérengère Lepetit est revenue à Châteaulin. Elle a averti Arnaud Marion (le « redresseur » de Doux) par mail de la sortie de son livre. Elle lui a pointé « le management inexistant et le manque de considération et de reconnaissance vis-à-vis des salariés dans un contexte où l'entreprise est érigée au rang de success-story ». Réponse courtoise de l'intéressé.

    Elle en a aussi apporté pour ses éphémères collègues, via Nadine Hourmant. « Beaucoup ne se souviendront pas de moi », sait-elle. D'autres ont été surpris de sa démarche et ont même trouvé qu'elle aurait pu « taper plus fort ». « J'ai aussi envoyé un exemplaire à Emmanuel Macron, sourit la journaliste. J'aimerais vraiment qu'il le lise ». Histoire de voir ce qu'il a raté.

    * « Un séjour en France, chronique d'une immersion », Éditions Plein Jour, 17 €.

    3 septembre 2015 à 05h20 / Anne-Cécile Juillet @annecejuillet /

     
     
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