• La morgue de Macron contre la fonction publique

    Peu après qu'Emmanuel Macron eut préconisé une remise en cause du statut de la fonction publique, François Hollande a fait comprendre qu'il n'y était pas favorable. Transgression, dénégation, régression : voici pourtant le nouveau jeu de rôle d'un pouvoir socialiste qui organise un recul social généralisé et amène le pays vers le naufrage. Parti pris.

    l y a quelque chose de pitoyable et d’affligeant dans la petite scène que l’on vient de vivre autour du dossier de la fonction publique, avec d’un côté Emmanuel Macron qui s’est dit partisan de dynamiter son statut, et de l’autre François Hollande, qui a aussitôt démenti le projet. Quelque chose de pitoyable et d’affligeant mais surtout d’emblématique car, par-delà les mensonges et les jeux de rôle des uns et des autres, on peut voir dans cette scène un concentré du naufrage vers lequel ce gouvernement entraîne le pays. Un gouvernement qui piétine avec application tous les engagements de la campagne présidentielle, qui traite avec morgue et condescendance ceux qui l’ont porté au pouvoir et qui a promu au poste clef du ministère des finances un petit marquis n’ayant qu’une obsession : complaire aux puissances d’argent dont il est issu.

    Suivons donc le fil de cette journée de vendredi. Prenant la parole devant un club politico-mondain dénommé « En temps réel » ce vendredi, le petit marquis de Bercy s’en est pris avec férocité au statut des fonctionnaires, estimant qu’il n’est « plus adapté au monde tel qu’il va » et « surtout n’est plus justifiable compte tenu des missions ». Selon Challenges, dont des journalistes étaient présents et qui a révélé ses propos, il aurait ajouté : « Je ne vois pas ce qui justifie que certains cadres de mon ministère bénéficient d’un emploi garanti à vie, et pas le responsable de la cybersécurité d’une entreprise... »

    Soit dit en passant, ce club « En temps réel » (dont on trouvera ici la gouvernance), qui est prétendument de gauche et dont Emmanuel Macron est l’un des membres les plus actifs, est un lieu où des personnalités et des financiers se côtoient et conduisent des débats pour essayer d’entraîner les hiérarques socialistes le plus possible vers les rivages conservateurs. C’est une sorte de fondation Saint-Simon, mais encore beaucoup plus à droite que celle-ci n’était et sans le souffle intellectuel dont elle disposait. Membre de la fondation Saint-Simon, le directeur du journal Libération Laurent Joffrin est d’ailleurs membre de ce club « En temps réel ». C’est par exemple devant cette association qu’Emmanuel Macron avait invité Peter Hartz à prendre la parole en janvier 2014 pour qu’il explique le détail des réformes qu’il avait entreprises en Allemagne, sous le gouvernement (SPD) de Gerhard Schröder, en vue de dynamiter le marché du travail et de passer les salariés à la moulinette de la flexibilité. Réformes dont s’est ensuite inspiré le même Emmanuel Macron.

    Chez lui, donc, devant l’association « En temps réel »,  Emmanuel Macron a dit tout le mépris qu’il avait pour les fonctionnaires – dont les gros bataillons ont voté pour François Hollande en 2012. « On va progressivement entrer dans une zone – on y est déjà d’ailleurs – où la justification d’avoir un emploi à vie garanti sur des missions qui ne le justifient plus sera de moins en moins défendable (…). Je ne sais pas justifier que quelqu’un qui travaille dans la cybersécurité dans une PME soit un contractuel en CDD et que quelqu’un qui travaille, par exemple, dans mon ministère dans le développement économique doive être un fonctionnaire. Il n’y a plus de justification fonctionnelle à cela. » Ces propos étaient supposés être « off the record », comme on dit dans le jargon des journalistes, mais bien naturellement, ils se sont rapidement propagés car des journalistes étaient dans l'assistance.

    Selon l’AFP, le ministre de l’économie a ensuite suggéré qu’il conviendrait de poursuivre le plan d’austérité bien au-delà des 50 milliards d’euros d’économies prévues d’ici à 2017, et que les effectifs de la fonction publique devraient être une variable clé d’ajustement : « Nous devons mener cette réflexion car elle est un levier de changement (…). Cela certainement serait très compliqué de traiter du stock [des fonctionnaires – ndlr] mais en flux il faut conduire cette réflexion. » En somme, le ministre a fait comprendre, même pas à demi-mots, qu’il était partisan de suivre l’exemple de Nicolas Sarkozy et de ne pas remplacer une bonne partie des fonctionnaires partant à la retraite.

    Puis, le même Emmanuel Macron a quitté l’association « En temps réel » pour prendre la parole, à l’occasion d’un autre débat organisé au siège de l’OCDE. Et là, rebelote ! Tout à sa nouvelle obsession de mettre les fonctionnaires à genoux, il a repris son prêche néolibéral, faisant valoir qu’il fallait poursuivre la réduction des dépenses publiques, mais en précisant que ce ne serait possible qu’à la condition que l’on ait le courage d’engager ces fameuses réformes structurelles, chères aux milieux conservateurs, au FMI ou à l’OCDE.

    Évoquant le prochain quinquennat, il a donc dit qu’il devrait aller plus loin, non seulement sur «les réformes structurelles dans la sphère sociale» mais aussi sur la place de l’État lui-même. «Sur la sphère étatique, il faut s’interroger sur les missions de manière plus transparente.» Même mot d’ordre, donc : sus aux fonctionnaires !

    On sait ensuite ce qu’il en est advenu. Quelques heures plus tard, de son fief de Corrèze où il décorait un fonctionnaire, François Hollande a fait mine de signifier son désaccord. Parlant à celui à qui il remettait la décoration, le chef de l’État a loué en lui « un fonctionnaire d’État, un fonctionnaire attaché à son département de la Corrèze et, comme je le suis, attaché à son statut ».

    Rien de plus ! Indigné, le président de la République aurait-il rabroué plus vivement le ministre ayant ainsi bafoué les valeurs de la gauche ? L’aurait-il convié même à quitter sur-le-champ le gouvernement ? Nenni ! D’une petite phrase subliminale, François Hollande a juste suggéré, presque timidement, qu’il était, lui, attaché au statut de la fonction publique.

    Par courtoisie, Emmanuel Macron a donc fait un peu de rétropédalage et a prétendu qu’on lui faisait dire… ce qu’il n’avait jamais dit ! « À aucun moment je n'ai parlé d'une réforme du statut de la fonction publique que le gouvernement envisagerait », a-t-il affirmé. Ce « statut n'est pas remis en cause (…). Les propos partiels rapportés donnent une vision déformée de ma pensée », a-t-il encore dit.

    Mais chacun a bien compris qu’il n’en pensait pas un mot.

    Ainsi va donc la vie publique sous le quinquennat de François Hollande. C’est un associé-gérant de la banque Rothschild qui mène la danse, et le chef de l’État joue timidement les utilités. Voici donc un jour le jeune héraut du Medef qui donne des coups de boutoir contre le code du travail ; le voilà le lendemain qui promet de démanteler les 35 heures. Et maintenant, c'est donc au tour de la fonction publique de craindre le pire! Alignement vers le bas pour tout le monde ! Flexibilité généralisée !…

    Et le scénario de ce sinistre jeu de rôle est perpétuellement le même. Emmanuel Macron est le ministre de la transgression, celui qui invite à renverser les valeurs fondatrices de la gauche, ses principes d’égalité ou de justice ; et le chef de l’État, après quelques dénégations, est celui qui organise la régression. Transgression, dénégation, régression : c'est le triptyque de ce pouvoir qui n'a plus de socialiste que le nom…

    Sinistre jeu de rôle, car on en comprend bien l’implacable mécanique. Après tant de mensonges, après tant de reniements, après tant de provocations à l’encontre de ce qu’en d’autres temps on appelait le « peuple de gauche », qui récoltera les fruits de ce terrible saccage, de cette régression sociale généralisée ? Le Front national n’est pas loin, qui s’en frotte ostensiblement les mains. Et le naufrageur Emmanuel Macron, qui est le porte-drapeau de cette régression, a toujours les mains libres et, tout à sa guise, peut jour après jour allumer toutes les bombes sociales qu’il veut.

    |  Par Laurent Mauduit

    Mediapart

    http://www.mediapart.fr/biographie/27

     

    « Leïla Shahid à CarhaixEn quête de sens, Nhatanaël Coste et Marc De La Ménardière »
    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    Tags Tags : , , , ,